Des images qui, sans mots, racontent, chantent, crient ou murmurent, voilà presque une vingtaine d’années que je travaille à en inventer.
Dans un cadre certes bien étriqué, celui de la carte postale, de ce petit objet que l’on offre ou que l’on poste pour accompagner nos humeurs, nos silences, nos générosités, nos maladresses, nos élans et parfois même nos incapacités (Ah, dire Je t’aime ou dire Merci…).

Des images donc qui tentent de dire la nécessité du lien, la joie et l’importance de la complicité, de ces choses belles et lumineuses parce que partagées.
Des images enfin, qui, peut-être simplement parce que j’en suis une, parlent des femmes, de la femme, de son humanité.


Mais si les images parlent, si on les fait causer, ce n’est pas toujours les bras ouverts.
Ici, ailleurs et de tous temps, l’image a aussi souvent été conçue, peaufinée et utilisée
pour nous faire douter de nous-même, pour entraver notre liberté de penser, de réfléchir, d’analyser.

En voici un exemple édifiant (image de campagne contre le suffrage féminin en Suisse, 1959),
parmi hélas tant d’autres.

Ainsi, il faudrait protéger les femmes, pauvres créatures sans défense et sans cervelle.
Mais les protéger de quel ogre au juste, de quelle malfaisante puissance prête à les saisir
et à les dévorer toutes crues ?
Des partis politiques ?
(De ceux donc, qui sont supposés organiser la vie en société et œuvrer pour le bien commun, et donc celui des femmes).
Des hommes ?
(On peut imaginer qu’une société dans laquelle la femme n’a pas le droit de s’exprimer — parce que considérée par l’homme comme incapable de penser par elle-même — permet encore moins aux femmes d’être présentes en politique).

Voici donc une image qui nous envoie plusieurs messages.
Si la femme ne doit pas être la proie des partis, c’est sans doute qu’elle est trop fragile, trop immature, trop peu réfléchie pour affronter la nécessaire et masculine brutalité qui seule est capable d’organiser l’avenir d’une société, de décider du bien de tous, d’un canton, d’une commune, d’une nation, de l’humanité…
ll faut donc la protéger.
Mais qui doit la protéger, et de quoi ? Serait-ce donc à l’homme de la protéger de ses propres méfaits ? De sa propre violence, de ses instincts guerriers, de son autorité destructrice ? De sa peur immense d’être dépossédé de sa virilité? De sa peur immense d’être dépossédé du pouvoir qui lui est octroyé par le simple fait de dominer?

Les images ne sont parfois que le reflet de ceux qui veulent les faire parler.
Celles-ci, même si elles appartiennent au passé, en disent long sur le chemin qu’il nous reste à parcourir, femmes et hommes, ensemble, pour changer le monde et apprendre à vivre ensemble, tous ensemble, sans s’écraser.



(Dans certains cantons de Suisse, les femmes n’ont le droit de vote que depuis 1990, au niveau fédéral elles ont conquis ce droit en 1971. En France ce n’est guère mieux, les femmes n’ont accédé au droit de vote qu’en 1944, bien après le Danemark, la Norvège, l’Arménie, l’Albanie, le Canada, la Géorgie, la Mongolie, l’Équateur, le Sri Lanka, la Thaïlande, l’Uruguay, le Brésil, Cuba, la Birmanie, la Bolivie et bien d’autres… ).