Il n’est jamais assez de murs, de cloisons, de strates de feutre, de laine, de coton,
pour se protéger de la furie des hommes.
Jamais assez de mains sur les oreilles pour s’isoler d’un tumulte que l’on voudrait faire taire.
Dans l’atelier, je choisis souvent le silence.
Pas de musique, si ce n’est celle de la pluie, du vent, des oiseaux, du trottinement des souris.
Posées là,
des bulles de porcelaine-papier teintée de chair et de sang,
des lambeaux de peau protectrice, de minuscules objets de soin.
Une fois encore, créer des passerelles entre la terre et d’autres matériaux
fragiles et périssables; textile récupéré, fil, végétal, papier.
Réfléchir à ce qui se cache, dessous,
sous la peau de porcelaine blessée.
Il y a ce qui se voit et ce qui se terre.
Il y a ce qui ne paraitra jamais et il y a ce qui suinte.
Il y a la douleur des femmes, de toutes les femmes en moi.
Il y a aussi ce cri que je ne parviens pas à faire taire,
et qui rompt le silence que j’ai pourtant choisi.
C’est un cri incessant, c’est du bruit,
un boucan de gravas, de larmes, d’injustice infinie.
C’est le bruit des hommes qui cassent le monde en petits morceaux.
Cette question de la paix, de la volonté de la paix, me taraude.
Elle parasite mes pensées et mon travail, mes jours, mes nuits.
Elle gonfle ma colère.
Je ne veux plus croire, comme on me l’a trop souvent donné à croire,
que c’est une question naïve, enfantine, que celle de la paix.
Que celles et ceux qui se la posent ne comprennent rien au monde des “grands“.
Ces dominants,
qui dirigent, ordonnent, organisent à l’image de leurs pulsions mortifères
nos civilisations.
Ce que me révèle cet état du monde,
c’est que ceux qui se croient grands et forts
ne la désirent pas,
la paix.
Ils n’en ont que faire.
Ils ne sont peut-être simplement pas capable de l’imaginer,
pas plus qu’ils n’imaginent la singularité de chaque vie qu’ils anéantissent.
Des vies d’enfants, d’hommes, de femmes,
des vies d’arbres et d’animaux multiples,
la vie des vivants qui peuplent la terre.
Nous si nombreux, si nombreuses,
qui l’avons, cette imagination.
Nous qui chaque jour créons la vie, la possibilité de la vie,
nous qui en prenons soin, qui l’élevons, la cultivons,
il serait peut-être temps de faire entendre notre voix,
non?
Photos: Chloé Sorbe et Gaëlle Boissonnard
Sculptures en porcelaine-papier et textile, créées lors de notre résidence
à Arte Diem, en avril 2023.
Exposition du 10 novembre au 8 décembre 2023.
Merci de si bien dire la douleur, le sentiment d’injustice, la colère, Gaëlle, et d’y mêler la création, la possibilité du beau, votre travail d’artiste. Un jour la paix … et ça se déploira dans notre dos, ça nous poussera aux jambes. Y croire encore et malgré tout, parce que nous n’avons peut-être que ça.