Et bien non, le premier mai, contrairement à ce que feint de croire un certain chef d’État,
n’est pas le jour où l’on fête le travail, le labeur, la sueur de ceux qui triment à l’ombre ou
en plein cagnard pour que d’autres puissent s’engraisser à l’abri de leurs bureaux vitrés.
Non, le premier mai est le jour où l’on fête, un peu partout dans le monde, les travailleurs.
Les droits des travailleurs, la dignité des travailleurs, de ceux qui ne renâclent pas et qui,
comme vous, comme moi, existent aussi au travers de la reconnaissance de leurs savoir-faire,
de ce qu’ils ont à transmettre, à partager, et non de ce qui leur est imposé par
tous les chantages que savent si bien inventer les premiers de cordée.

Ce dit-chef d’État, il y a quelques mois, refusait d’associer le mot pénibilité au mot travail.
Comment ça, oser dire que le travail pourrait être pénible alors que le travail est salvateur!
Oui, c’était bien il y a quelques mois (et non il y a quelques dizaines d’années dans la bouche d’un Maréchal), ce temps lointain où tout un chacun pouvait encore descendre crier sa colère dans la rue
(non sans risque d’y perdre la face ou la vue, mais ceci est une autre histoire).


Rien de bien nouveau.
Alors, en ce 1er mai 2020, sans banderoles et sans muguet,
envie de partager ceci:



(…)

Et puis ils parlent de leurs petites affaires, de leurs enfants, de leurs bronches;
le jour se lève, on tire les rideaux chez le Président.

Dehors c’est le printemps, les animaux, les fleurs,
dans les bois de Clamart on entend les clameurs des enfants qui se marrent,
c’est le printemps (…)

Il fait chaud. (…) voilà les pélicans, les fleurs sur les balcons,
voilà les arrosoirs, c’est la belle saison.
Le soleil brille pour tout le monde,
il ne brille pas dans les prisons,
il ne brille pas pour ceux qui travaillent dans la mine,
ceux qui écaillent le poisson
ceux qui mangent la mauvaise viande
ceux qui fabriquent les épingles à cheveux
ceux qui soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines
ceux qui coupent le pain avec leur couteau
ceux qui passent leurs vacances dans les usines
ceux qui ne savent pas ce qu’il faut dire
ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait
ceux qu’on n’endort pas chez le dentiste
ceux qui crachent leurs poumons dans le métro
ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels
d’autres écriront en plein air que tout va pour le mieux
ceux qui en ont trop à dire pour pouvoir le dire
ceux qui ont du travail
ceux qui n’en n’ont pas
ceux qui en cherchent
ceux qui n’en cherchent pas
ceux qui donnent à boire aux chevaux
ceux qui regardent leur chien mourir
ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire
ceux qui l’hiver se chauffent dans les églises
ceux que le suisse envoient se chauffer dehors
ceux qui croupissent
ceux qui voudraient manger pour vivre
ceux qui voyagent sous les roues
ceux qui regardent la Seine couler
ceux qu’on engage, qu’on remercie, qu’on augmente,
qu’on diminue, qu’on manipule, qu’on fouille,
qu’on assomme
(…)
Ceux qui crèvent d’ennui le dimanche après-midi
parce ce qu’ils voient venir le lundi
et le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendredi
et le samedi
et le dimanche après-midi.


Jacques Prévert,
extrait de Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France.
1931