On peut se demander.

Je me demande, moi,
si tout cela est bien sérieux.

S’ils sont sérieux ceux qui pensent l’être,
ceux qui pensent penser bien, penser mieux, penser juste,
ceux qui pensent pour les autres.

Pour nous.

Les mouvements de leurs bras,
la gravité de leurs regards,
de leurs voix,
sont étudiés, travaillés,
pour qu’on les croie.

Qu’on les croie sérieux, responsables,
puisqu’ils décident ce qui est bien pour nous,
puisqu’ils le savent mieux que nous le savons.

Ils seraient donc nos pères, nos mères,
nous leurs enfants inconséquents.

Mais les enfants,
ne sont-ils pas plus sérieux que ces “grands” qui font de nous leurs poupées de papier?
Plus sérieux que ces “grands” qui jouent au roi ou aux marchands,
qui jouent à l’école,
qui jouent à la guerre avec des soldats de chair et de sang,
avec des enfants de chair et de sang,
qui jouent aux puissants.

Je porte en moi ce double handicap,
je n’ai jamais été “grande”,
et je suis une femme.

À leurs yeux, plus encore que tout autre,
je ne suis pas sérieuse,
pas capable de comprendre le monde,
de le guider,
pas capable de savoir ce qui est important et ce qui ne l’est pas.

Pourtant,
c’est peut-être parce que je suis une femme,
que je connais la préciosité et la valeur de la vie,
de chaque vie, quelle qu’en soit sa couleur.

Cette vie que j’ai donnée, créée, nourrie,
sans obéir à une quelconque injonction à pondre,
à peupler, à repeupler,
à regarnir les garnisons et les viviers d’esclaves et de petits robots.

Il serait temps,
enfin,
de considérer la vie,
les vies.

Les vies multiples et infinies,
uniques, singulières,
chaudes et douces de peaux, de rage et de rires profonds,
fragiles et furieuses, folles, tendres et lumineuses,
déglinguées, abimées, constructives, appliquées, raisonnables ou déjantées,
mais vivantes,
et de toutes les couleurs.

Les couleurs existent,
elles font le monde comme nous le faisons,
elles se déclinent en milliers de nuances,
comme nous.

Ne fermons pas les yeux sur leur infinie diversité.

Refusons la monochromie imposée
aux enfants comme aux idées.

Uniformiser les enfants “n’effacera” pas leurs douleurs et leurs peines,
leur lucidité, leur soif de se dire et d’exister.

Refusons d’armer nos ventres et nos pensées,
refusons la peur et ceux qui la fabriquent,
refusons les chants de guerre dans la bouche des marmots,
refusons le bleu marine sur leur peau,
sur la nôtre, et dans nos cerveaux.

Que cette année soit celle de la multiplicité des couleurs,
mélangées, conjuguées, métissées.
Qu’elle soit une année bariolée, désarmée,
féminisée!

À nous.
Belle année!